Skillshare

En 2013 les apprentis châtelains peuvent se tourner vers AirBnB pour lancer leur activité, et les inventeurs du dimanche disposent de Kickstarter pour se lancer dans le grand bain et explorer leur marché potentiel. Et bien dorénavant Skillshare permet à toute personne, ayant un savoir faire plus ou moins abouti, de se transformer en professeur. Le service, basé à New York, vous permet de vous inscrire pour animer ou suivre de courtes leçons, de la dégustation de bière jusqu’à la photographie ou la programmation en passant par la préparation de nourriture pour bébé lorsque vous n’avez que 1$ en poche...

Nous pourrions qualifier Skillshare de “communauté d’apprentissage” centrée sur les compétences pratiques plus que théoriques. Concrètement ils fournissent une plateforme ouverte qui permet à n’importe qui d’enseigner sa pratique soit localement et physiquement dans son quartier, soit en ligne auprès de milliers de personnes tout autour de la planète. De même, n’importe qui peut être étudiant et il suffit de se connecter à la plateforme pour s’inscrire à toute sorte de cours. Le prix d’un cours en ligne va de 0 à 25$ et pour les sessions locales, étant donné la possibilité de suivre plusieurs séances, cela peut monter jusqu’à 950$ pour 5 semaines de cours avancés en programmation par exemple. Sur tous ces cours, Skillshare prend 15%. La réflexion à l’origine de ce service portait sur la possibilité d’utiliser la puissance d’internet pour diffuser des compétences et du savoir depuis et auprès du plus grand nombre. Ils ont aujourd’hui des centaines de milliers d’étudiants tout autour du monde et certains membres ont abandonné leur job pour se consacrer à plein temps à leur enseignement sur Skillshare.

DES MODALITES A INVENTER

Il est donc possible d’enseigner quasiment tout sur Skillshare. Mais vous ne pourrez pas enseigner les disciplines “classiques” comme les mathématiques, l’histoire… les universités s’en chargent très bien. Skillshare fait une différence entre l’éducation et l’apprentissage et c’est notamment en cela que le service n’a rien à voir avec les autres plateformes de cours en ligne - ou MOOCs pour Massive Open Online Courses - comme Coursera, EdX… qui donnent accès aux cours des plus prestigieuses universités à n’importe qui dans le monde, mais tout le monde est loin de pouvoir proposer ses cours sur ces plateformes. En effet Skillshare permet à n’importe qui d’apprendre ou d’enseigner n’importe quoi depuis n’importe où. Il ne s’agit donc plus de donner les moyens aux enseignants de digitaliser des cours universitaires existants mais bien plutôt de donner la possibilité à cette personne lambda de devenir professeur, en plus de pouvoir digitaliser son savoir dans le cas de cours en ligne (ce qui n’est pas, il est important de le souligner, le coeur de métier de Skillshare : lors de son lancement seuls les cours locaux et physiques étaient supportés).

Il s’agissait donc de créer un service d’apprentissage communautaire, capable de transformer des personnes lambda, mais particulièrement compétentes, en véritable enseignants. Vous en déduirez vite la problématique de design : comme face à toute pratique nouvelle pour l’utilisateur, il faut se demander quels pourraient être les usages d’une telle plateforme et quelles fonctionnalités il va falloir développer pour permettre ces usages. Il s’agit donc véritablement d’inventer les nouvelles modalités d’un nouveau service, car s’il n’est pas évident d’enseigner lorsque vous n’êtes pas enseignant de métier, il n’est pas non plus facile d’apprendre auprès de n’importe qui… D’où l’intérêt de l’aspect communautaire qui permet à chaque acteur de recevoir du feedback sur sa participation et donc d’améliorer globalement le service fourni.

L’équipe de Skillshare fait d’ailleurs remarquer que le plus grand obstacle pour motiver les gens à enseigner est tout simplement qu’ils ne s’en pensent pas capables. Soit ils ne se pensent pas bons pédagogues soit tout simplement pas experts, ils pensent que des millions d’autres personnes sont au moins aussi compétentes qu’eux, voire plus. Pour cela la réponse apporté par la platefrome est assez simple à priori. L’interface claire et aérée comme le ton léger et humouristique permettent en effet de désacraliser la pratique de l’enseignement en insistant à longueur de pages web sur le fait que tout le monde peut apprendre quelque chose à – et de – tout le monde. Ils ont créé un environnement assez accueillant et simple d’utilisation pour que l’on se dise : “Pourquoi pas moi?”.

DES FONCTIONNALITES A DESIGNER

Mais concevoir un tel outil selon ces critères est toujours plus facile à dire qu’à faire, le travail des designers sur l’interface - le nombre de mises en page testées est d’ailleurs assez impressionant - et plus globalement sur toute l’expérience utilisateur a véritablement été la clef du succès de la plateforme, notamment pour les cours en ligne. Car il ne s’agit plus seulement d’un système de mise en relation d’une personne compétente et désireuse de transmettre son savoir avec des personnes désirant apprendre à maîtriser cette compétence. Les cours en ligne ont été volontairement voulus de haute qualité par l’équipe de Skillshare et il faut postuler avant de pouvoir enseigner. Une fois votre candidature acceptée – il ne s’agit ici que d’éviter les charlatans, potentiellement bien plus nombreux sur internet que pour les cours physiques – une équipe pédagogique vous aide à mettre en place votre cours et répond à toutes vos questions si vous n’avez jamais enseigné quelque chose de votre vie. En compilant les retours de la communauté cette équipe constitue, de manière empirique, un manuel du parfait enseignant Skillshare envoyé à tous ses enseignants, en ligne comme hors-ligne. Rendant ainsi le service utilisable du mieux possible par le plus grand nombre d’enseignants amateurs afin de satisfaire au mieux le plus grand nombre d’étudiants.

Un autre aspect intéressant du service concerne l’évaluation. En effet, à la différence des MOOCs, Skillshare ne fournit aucun certificat ou diplôme aux personnes ayant suivi un cours. Ainsi il n’y a pas fondamentalement besoin d’évaluer les étudiants – supprimant par la même occasion le principal obstacle que rencontrent les MOOCs : la triche – mais comment convaincre les élèves potentiels qu’ils vont véritablement apprendre quelque chose, si aucune certification reconnue n’est fournie ? La réponse trouvée par Skillshare est là aussi assez simple : les cours ne fonctionnent que sur le mode projet. Chaque cours doit être sanctionné d’un projet à réaliser. Ce projet ne sera pas évalué à proprement parler mais soumis à la communauté dans le seul but de recueillir du feedback sur la compétence démontrée. Pour les cours physiques cela se fait en général tout au long des sessions et la dernière est réservée à la présentation des projets. Mais pour les cours en ligne, il est difficile de présenter 200 projets en une heure, ou même en une journée…

Il a donc fallu développer un outil permettant aux élèves en ligne de mettre en valeur leur projet tout en recueillant critiques et conseils pendant leur réalisation. Skillshare propose alors aux étudiants de raconter l’histoire de leur projet jusqu’au rendu final et tant que ce rendu n’est pas soumis, tous les membres du cours en question peuvent commenter et aider le créateur. Une fois la version finale soumise, elle est visible par tous les membres de Skillshare. Cette fonctionnalité n’est surement pas apparue aussi simplement que ça et après en avoir eut l’idée, le travail des designers a été de la concevoir et la réaliser. Vous pouvez voir un exemple (tronqué car bien trop long) ci-contre : au fur et à mesure de son travail, l’étudiant va renseigner son avancement avec des photos, des vidéos ou simplement du texte. Pensée un peu à la manière d’un blog, cette fonctionnalité est capitale car elle permet de comprendre tout le parcours de création de l’étudiant en plus de la simple information du temps de travail qui a été nécessaire à la réalisation du projet. Notez la possibilité de “liker” le projet et le wording fort à propos : “Isn’t this project awesome?”

Ce service est donc fondamentalement basé sur sa communauté, créant un cercle vertueux à partir des apprentissages que chacun va faire sur sa pratique d’enseignant ou d’étudiant et capitalisant sur les réalisations de ses membres : les projets réalisées par les uns sont les “certificats” des autres. Mais cette idée géniale se base avant tout sur une interface extrêmement bien réussie et transparente pour l’utilisateur, lui permettant de se concentrer sur cette communauté car elle est simple et très accessible. Globalement le travail réalisé par les designers véhicule bien le message comme quoi tout le monde peut faire partie de la communauté Skillshare, et donc alimenter le cercle vertueux.

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Crédits images : Skillshare.com